Les humoristes: nouveaux chiens de garde?

Il y a quelques mois sortait sur nos écrans Les Nouveaux Chiens de Garde, documentaire génial sur les relations entre média et pouvoirs financiers. Pertinent et remarquablement construit, le film pointe le nouveau rôle de ces journalistes, experts en finance, conseillers qui pavanent dans les émissions télévisées, qui, loin de partir d'une position objective, s'érige avant tout comme le défenseur du modèle ultra-libéral.

Il est pourtant une catégorie dont le film ne prête pas attention mais qui semble pourtant tout aussi importante: c'est celle des humoristes. Ils ont pignon sur rue, vous font rire sur vos petits tracas de la vie quotidienne, n'hésitent plus à vendre leur cul dans des publicités toutes plus ridicules les unes que les autres. Ils sont soit issues de l'univers de la télévision (Gad Elmaleh, Frank Dubosc) soit issues de la génération Internet, appelée aussi la génération Y (Norman, Cyprien, Hugo Tout Seul). Dissertant sur des sujets aussi passionnants que les vacances au camping, le dos crawlé ou l'achat d'une nouvelle machine à café, leur but n'est pas d'apporter un humour corrosif sur les remous de notre société de consommation ni de vous faire réfléchir sur les questions sociales (mais ça intéresse qui?), non! Leur but est de vous faire oublier vos soucis, le temps de quelques minutes, de vous faire rire, de vous distraire. Chez lui (ou elle) pas de remise en cause de la société, elle est très bien comme elle est (surtout quand elle permet de grossir sa bourse) et après tout? Pourquoi dénoncer un système qui a donné les libertés et a permis à nos chers artistes de se hisser, à force de travail et d'abnégation, sur les plus hautes marches du podium? Et puis, les gens veulent plus entendre des choses comme: "Bref j'ai un plan cul." "Bref, je suis en couple" "Bref, j'ai mangé Mcdalle" "Bref, je me fous de la gueule de mon public avec mes sketchs de merde et je me fais un tas de pognon sur son dos." Ca concerne plus leur vie au quotidien, ça les touche plus, c'est plus "carrément trop ça".

Mais si!! Les humoristes prennent des risques!! Regarder Laurent Gerra et son José Bové transformé en...pétomane. Regardez Nicolas Canteloup, c'est drôle ça. C'est d'ailleurs tellement drôle que ça fait même rire les politiciens dont il se moque. Si avec ça, on n'a pas des humoristes corrosifs, je ne sais pas ce qu'il vous faut.

Ah mais l'humoriste nous l'assure! Sa verve a peut-être perdu de son piquant mais il est toujours l'un des garants de valeurs humanistes qui font l'unicité de notre beau pays: il trouve que la pauvreté, ce n'est pas bien, dénonce la famine en Afrique et soutient l'achat...heu, l'adoption d'orphelins originaires des pays pauvres.

Réfléchir c'est N-U-L! Ce qui compte, c'est s'amuser, boire jusqu'à ne plus se rappeler de la veille et fumer des substances hallucinogènes jusqu'à se griller le cerveau. D'ailleurs, comme le dit si bien un de nos humoristes chiens de garde, qui aurait envie de lire des livres quand on a la console, la télé ou le portable? Qui voudrait changer le monde quand on peut s'éclater avec ses potes?

Vidéo Hugo Tout Seul:

http://www.youtube.com/watch?v=b-H7itCz2fM&list=UUXapBbZyOgvYwOlqYzf8dhg&index=7

Il serait intéressant de généraliser ce cas des humoristes avec celui des artistes (acteurs, musiciens,...) qui, arguant toujours de défendre des valeurs humanistes et progressistes, montrent aussitôt les crocs dès que des réformes ou des changements viennent toucher leur si précieuse bourse. C'est ainsi qu'on entendit Maxime Leforestier traiter de "Pétainistes" les partisans du téléchargement illégal, qu'on vit Gérard Depardieu quitter la France à cause de mesures "confiscatoires", Charles Berling, "grand artiste de gauche" (comme dirait la génération Y: LOL) monter au créneau pour son ami et avancer que "cet argent, il ne l'a pas volé". Et que dire de la réponse sans équivoque de Catherine Deneuve à Phillipe Torreton: "Qu'auriez vous fait en 1789? Mon corps en tremble encore!" La boucle est bouclée avec cette remise en cause de la Révolution Française, vue désormais par cette classe d'artistes bourgeois, comme l'oppression tyrannique et illégitime du peuple de réclamer son dû.

Tout ceci ne nous fait que trop penser à un film du génial (mais traître) Elia Kazan: A Face in the Crowd qui mériterait d'être médité encore aujourd'hui et dont la bande annonce terminera cet article.

Bande annonce A Face in the Crowd:

http://www.youtube.com/watch?v=mJGUm9e_BLU